Hervé Petit est l’auteur d’une attachante scénographie picturale ne prenant pour prétexte que deux types d’objets: des livres et des constructions industrielles désaffectées, qui, réduits à la même taille, semblant installés sur une étagère, dressée elle-même sous un ciel d’orage ou campée dans un paysage.
Quoique se démarquent du trompe-l’oeil traditionnel et réfractaire à toute visée théorique, Hervé Petit utilise sa grande maîtrise de peintre pour faire varier à l’infini son thème fondamental, qui intervient dès lors, comme une métaphore, jouant sur les ressemblances qui existent entre les réalités architecturales et l’art du livre.
Celui-ci, dans les tableaux d’Hervé Petit, n’est aperçu qu’à travers les volumes, leur tranche, un fragment de couverture et leur titre; façon pour Hervé Petit d’exercer son humour et de transformer ses amis en auteurs.
Ainsi observe-t-on, en parcourant cette bibliothèque idéale, des ouvrages visiblement très lus, comme Reflets par François Bricq, Traité d’art martial pour le maniement du pinceau dans l’art moderne par Pierre Chaplet, Souvenir d’Egypte de Marc Giai-Miniet, édité à la NRF (il est toujours permis de rêver).
Entre beaucoup de livres savants, de romans de la collection « le Mastaque », on trouve un album de « Gédéon, Le Petit Canard » par Benjamin Rabier, Rêve aux dunes par Mal à Part, Aux Charmes mitoyens par Clotilde Onde, les oeuvres complètes de John Arth en trois tomes: « Le Père », « Le Fils », « L’Avion »; L’Idiot et Souvenirs de la maison des morts, de Dostoïevski.
Un peu malgré soi, on est amené à penser, devant une telle accumulation de livres et d’usines, qu’elle procède finalement d’une utopie globale qui réunirait « production et communication » dans une même présence sujette à la ruine et l’usure (le livre est aussi et surtout une industrie).
Pour modérer peut-être la portée un peu désabusée de son message, Hervé Petit cède à des intentions purement picturales, puisque ses confrontations sont agrémentées d’objets peints, avec un fort relief, ce qui donne de la perspective à ses peintures (cartes postales, enveloppes, papiers divers, plumes et ficelles tendues entre des pièges à rates).
Quelques oeuvres plus anciennes, comme Le Stade et l’Aquarium, montrent toutes les ressources techniques d’Hervé Petit et son aptitude au renouvellement.
Hervé Petit est un vrai grand peintre, il sait travailler la profondeur d’une matière picturale fine et jolie, il sait monter très haut dans une gamme de gris, il sait faire tourner le violet et ses tableaux, superbes d’aspect, dénotent toujours une habilité des plus rares (par exemple, dans la difficile figuration d’une grenouille frappant de la tête la vitre de l’aquarium) et quoi qu’il s’en défende, Hervé Petit est constamment un moraliste, mais sains insistance et sans peser le moins du monde sur les choses qu’il peint.
Maurice RAPIN